Mais où sont les montagnes?
Arrivés à l'aéroport de Bichkek nous sommes accueillis par Goulira la mère de Makhabate, Saïkal la cadette, Nourlan, un cousin… et le voisin chauffeur de taxi. Nous chargeons tant bien que mal nos énormes sacs dans le coffre et nous nous entassons à six dans la voiture. Nous allons chez une des tantes de Makhabate qui vit dans une banlieue au nord-est de Bichkek. La route rectiligne bordée de peupliers me semble interminable. La platitude du paysage me surprend. Moi qui pensais arriver dans un pays montagneux... L'atmosphère ouatée du petit matin me libère du stress du voyage, et je me laisse porter dans ce monde entièrement nouveau.
Premier contact avec les moeurs Kirghiz
A notre arrivée dans la maison nous devons nous soumettre à un petit rituel de purification : La maîtresse de maison fait tourner un bol d'eau trois fois au dessus de la tête du voyageur et celui-ci doit éliminer les mauvais esprits en crachotant trois fois dans le récipient. Makhabate n'étant pas là pour me guider et me traduire, je reste de marbre devant le bol tendu près de ma bouche et la tante de Makhabate finit par renoncer amusée par la situation. Les Kirghiz ont été convertis à l'islam vers le XIV ième siècle, mais leur interprétation du Coran est beaucoup plus laxiste que celle des peuples du Maghreb (par exemple). ils mangent parfois du lard et ne perdent pas une occasion pour boire de la vodka... En tout cas leurs pratiques sont plus héritées du chamanisme que de l'Islam.
Bien qu'on me le propose plusieurs fois, pas question pour moi de dormir, nous allons déjeuner avec toute la famille. On réveille le grand père et on l'aide à se lever. Il est trop beau avec sa longue barbiche, son kalpac (chapeau traditionnel Kirghize en feutre) et sa voie rauque.
Tout le monde se rassemble dans le salon autour d'une petite table basse entre deux canapés. Il y a deux autres cousins :Oulan 17 ans, et Myrlan 7 ans. La tante de Makhabate s'agite pour tout préparer alors que Makhabate raconte…son séjour en France, j'imagine? Sur la table sont disposés de petits bols remplis de sucre, de confiture de framboise délicieuse, et de crème fraîche très épaisse et jaune: le kaïmak. Nourlan coupe les Lipiocka (pains plats circulaires) avec ses mains et répartit les morceaux sur la table. La tante de Makhabate amène deux théières et une pile de bols et elle sert le thé. J'apprend mes premiers mots kirghiz : Sut pour avoir du thé au lait, karandaï pour du thé noir et ak (= blanc) pour un thé léger.
Pour un kirghize l'invité quel qu'il soit ne doit manquer de rien. Il en va de l'honneur de la famille. Dès que son bol est vide on le presse pour qu'il le fasse reremplir auprès de la maîtresse de maison. Le visiteur, lui, ne doit pas refuser ce qu'on lui propose. Novice, je me laisse servir, si bien qu'à la fin du repas, j'ai bu une dizaine de bols de thé et au moins sept tartines de Kaïmac et de confiture de framboise. Je me fais alors la réflexion qu'il faudra que j'apprenne à boire et manger lentement...
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retour sommaireLe tour du quartier :
Nourlan m'emmène faire le tour du quartier. Il a 16 ans et parle un petit peu anglais. Dans la rue en sortant, des petits gars venus remplir un gros bidon à la fontaine toute proche sont intrigués par ma présence, inquiets même. Nous croisons le grand père qui nous envoie faire une petite course : acheter de la Vodka arak. Le petit Myrlan vient nous rejoindre et nous partons chercher le précieux liquide dans une des nombreuses épiceries. Nos tentatives de communication en anglais sont poussives. Nourlan manque encore de vocabulaire, mais il n'hésite pas à se lancer. A l'épicerie Myrlan m'achète de bon coeur des bonbons. Je suis gêné, d'ordinaire ce sont plutôt les grands frères qui achètent des bonbons aux petits. De retour Nourlan glisse la petite bouteille dans la poche intérieure de la veste du grand père. Celui ci, comme tous les hommes de son âge, arbore fièrement les médailles qu'on lui a attribuées durant le régime soviétique. Nous repartons flâner à travers les chemins boueux et cabossés qui se ressemblent tous. Je me sens un peu perdu dans ce monde si loin de chez moi et de mon confort. Je suis désemparé par les odeurs de campagne: crottes de poules ou de bouses de vaches, les chiens qui jappent à chaque passage dans le jardin, les toilettes - une cabane en bois au fond du jardin et la salle de bain - une pièce toute sombre avec un robinet d'eau froide qui coule sans arrêt. Mais ce n'est que secondaire et je vais vite m'y faire.
retour sommaireVisite de Bishkek
Pour rejoindre le centre, il faut marcher cinq minutes jusqu'à la grande route. Celle-ci est goudronnée mais il y a tellement de nids de poules que la plupart du temps les chauffeurs roulent sur le bas coté ou sur la voie d'en face pour ménager leurs vielles Ladas. Nous prenons la Marchoutka (minibus) qui ne va pas tarder à être pleine à craquer. Les bordures de routes regorgent de chanvre (indien ?) et de peupliers. Je suis impressionné par la manière de conduire des Kirghiz. Tout est désorganisé : bien souvent il n'y a pas de marquage ni de panneaux et les feux rouges font office de décor. La ville est entièrement quadrillée par de larges et interminables avenues comme les villes américaines… ou plutôt russes. Les immeubles gris construits sous l'union soviétique menacent de tomber en ruine. Les voitures toussent des fumées noires et irritantes. Mais parfois, au milieu de ce tintamarre passent dans un silence inquiétant, d'énormes Mercedes flambant neuves ou des 4x4 de luxe, signe évident de la corruption qui règne dans le pays.
Malgré tout, la ville regorge de petits détails qui la rendent agréable : La végétation omniprésente protège les passants des voitures qui sont finalement peu nombreuses comparées à nos villes européennes. Par ci par là, des abricotiers croulant sous le poids de leurs fruits. Makhabate me montre avec délectation tous les restes de l'union soviétique qui n'ont pas été enlevés à la libération du régime soviétique en 1991. La fameuse statue de Lénine sur une place bordant l'avenue principale, mais aussi une multitude de slogans destinés aux travailleurs du parti. Actuellement, il y a encore une forte propagande patriotique alimentée par des citations du Président Akaïev " Kirghizistan, notre maison commune ".
Nous visitons le musée national d'histoire...très "soviétique". Des cadeaux au président kirghiz, des articles et biographies de travailleurs ou d'hommes du parti communiste et les accessoires et coutumes des anciens nomades. Je suis surpris par la ressemblance des tissus et des accessoires avec ceux des indiens d'Amérique.
Nous menons un train d'enfer et la ville me paraît interminable. Sur notre chemin nous rencontrons une infinité de petits kiosques (Kamoc) qui vendent un peu de tout : du pain, des sucreries, des boites de conserve, des cigarettes, et surtout de la vodka. Rarat la grande sœur de Makhabate travaille justement, comme la plupart des étudiants, dans un de ces magasins de fortune. Cela me permet de découvrir leur face cachée. En effet elle doit rester nuits et jours dans ces 5 mètres carrés remplis à bloc de marchandises. Une banquette est aménagée pour y dormir et un chauffe plat avec une résistance à nu permet de cuisiner ou de faire du thé. La nuit est le moment le plus redouté par les jeunes gens : en effet, ils sont souvent réveillés par les assauts des poivrots qui réclament de l'alcool.
Au Kirghizistan le meilleur héritage de l'union soviétique est certainement l'éducation : les filles comme les garçons vont à l'école assez longtemps et beaucoup arrivent jusqu'en faculté ou l'enseignement est souvent de bonne qualité. Mais la vie des étudiants est difficile lorsque les parents ne peuvent pas aider. Certains ne mangent pas à leur faim et il faut la volonté de l'espoir pour continuer et briller dans les études.
retour sommaireLe marché : Och Bazar
Nous allons à Och Bazar, le plus beau des deux marchés de la ville. Des gens grouillent de partout dès l'entrée. C'est un marché couvert dont les différents emplacements sont plus ou moins organisés par thèmes. Les vêtements, les produits ménagers et boites de conserves, la vaisselle, les fruits et légumes, les sucreries… On trouve de tout et les allées sont tellement étroites et remplies de gens que nous devons nous tenir pour ne pas nous perdre.
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retour sommaireLe Plov de l'Oncle Myrza
Le soir je fais la connaissance de l'oncle Myrza. Sa bonhomie me met tout de suite à l'aise et il semble très content de recevoir chez lui un étranger et de surcroît un Français. Pour m'honorer il a préparé un Plov, plat traditionnel de la région d'Och (au sud du Pays) d'où il est originaire. C'est un riz mariné avec des carottes et du mouton bien gras. Pour qu'il soit meilleur il l'a préparé dehors sur un feu de bois dans une grosse marmite en fonte. Nous mangeons très tard, vers 23h30 et cette fois je tombe de fatigue.
Le lendemain j'apprend à jouer aux jeux de cartes kirghiz avec le petit Myrlan qui est déjà très doué en langues. A sept ans il sait déjà compter en anglais et en une minute il répète et retient parfaitement les chiffres en français. Nourlan lui est fan de Rap : il me cite le nom de ses stars favorites dont Eminem : la pire influence américaine à mon goût... Oulan, jusqu'à présent très réservé, me montre un livre de géographie du pays et me conseille vivement d'aller à Och par la route plutôt qu'en avion. Il me répète avec enthousiasme : Otchin Craciva (magnifique en Russe).
retour sommaireLe grand Bazar
Aujourd'hui nous emmenons Saïcal (la soeur cadette de Makhabate) pour lui acheter un maillot de bain pour partir en colonie de vacances. Elle est très mignonne avec ses grands cils et son air timide. Nous prenons un Trolleybus tout rouillé et faisant un bruit de casseroles pour rejoindre le grand Bazar Taltchok (=grande bousculade) au Nord de la ville. Les échoppes sont installées dans des anciens conteneurs métalliques entreposés là sous l'Union. Des marchands ambulants parcourent les allées, devancés d'énormes poussettes remplies de samsis, pirojkis ou de bananes (mets de luxe pour les kirghizes). Des gamins chargés de livrer des marchandises déboulent à toute allure entre les échoppes en criant "Jol, jol, jol..."(faîtes place).
De retour nous allons au Parc d'attraction. Encore une merveille kitsch... Nous essayons un peu tous les manèges qui tournent encore... dieu sait comment. Je laisse de coté mes peurs et essaye les balançoires tournantes. Même pas peur!!! Dans tous les recoins on entend brailler des karaokés en plein air dont les jeunes raffolent (ça j'ai pas essayé…).
retour sommaireLe lit du communisme
Le soir des cousins éloignés débarquent à l'improviste et nous nous retrouvons assez nombreux. Le repas est encore servi très tard et à la fin Myrza me propose de dormir dehors avec les hommes sur une sorte d'estrade en plein air couverte par un toit: le Ceureu (encore une particularité de la région d'Och). Toute la famille éclate de rire lorsqu'il dit qu'il va me faire dormir dans le lit du communisme, c'est à dire avec une seule couverture pour tout le monde...
Nous sortons de lourdes couvertures de laine recouvertes de tissus vifs roses ou violets et la tante de Makhabate installe les lits : deux couvertures en guise de matelas et une autre pour se couvrir. A Bichkek, il fait très chaud la journée mais les nuits sont assez fraîches. Je suis étonné par le confort et la chaleur de nos lits et m'endort très vite, harassé par une journée encore bien remplie.
A table Myrza voulait savoir comment aller en France. Tout naïf, il se proposait d'être cuisinier. Il pensait certainement que venant de là bas j'avais tous les pouvoirs. J'ai tenté de lui expliquer que la vie chez nous n'est pas si facile et souvent beaucoup plus compliquée que ce qu'il pouvait imaginer, mais le mythe de l'occident est tellement ancré ici que rien n'y faisait.
retour sommaireVers Karakol
Le voyage vers Karakol dure environ 8 h. Nous roulons dans une marchoutka relativement confortable, le seul ennui, c'est que j'ai une tourista carabinée. Je découvre avec écoeurement les toilettes à la chinoise : cinq trous alignés dans un genre de box en béton remplis de mouches signe de l'odeur abominable qui y règne... Malgré l'inconfort de la situation, je découvre les paysages des bords du lac Issik-Koul. Karakol est la ville incontournable pour tous les touristes venant faire du trek. Elle se trouve au Nord-Est du pays sur le piémont nord de la chaîne du Tien Shan. Les pics principaux culminent à plus de 7000 mètres : Khan-Tengri (7000 m) et pic Pobeda (7439 m).
Les tour-opérators locaux ont bien compris la manne touristique. Toutes les combines sont bonnes pour garder le touriste le plus possible. Les zones de trek se trouvant essentiellement dans les zones frontalières, il est nécessaire d'obtenir un permis pour rentrer dans ces zones. Les agences en profitent largement en faisant un tarif dégressif en fonction du nombre de jours d'attente pour l'obtention du permis alors qu'il leur faut 10 minutes pour obtenir les tampons et autorisations nécessaires. En un sens cette combine qui traduit bien la compromission des fonctionnaires, n'est pas si mauvaise parce qu'elle permet de découvrir la ville et ses habitants.
Karakol est la ville des peupliers (bien que beaucoup aient été coupés pour le chauffage ou pour réparer les charpentes des maisons). Les possibilités de visites sont nombreuses : une mosquée Dungan (Chinois Musulmans du Sin Kiang), une église Orthodoxe magnifique, le musée de l'explorateur russe Prjevalski qui est venu finir ses jours tout près de la ville (très kitsch mais intéressant si vous prenez un traducteur). Mais, peu être le plus intéressant, le marché aux animaux (un des plus grand du pays) le dimanche dès cinq heures du matin. On y trouve de tout, même des bêtes en fer : voitures et camions.
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Le bagnat Russe
Le lendemain, la mère de Makhabate a fait chauffer le fameux bagnat Russe dont Makhabate ne cessait de me vanter les qualités pour la peau lorsque nous étions en France. Héritage de la culture Russe, le bagnat équivaut à un hammam mais en plus chaud. Chaque membre de la famille reste une à deux heures là dedans une fois par semaine. Pour moi, c'est l'occasion de me laver à l'eau chaude, mais j'ai du mal a apprécier.
Dans les environs de Karakol de nombreuses sources chaudes sont exploitées pour les bains, de quoi se détendre après une longue randonnées.
retour sommaireLa bonne humeur Kirghize
Le soir, le père de Makhabate est très enthousiaste. Il raconte que toute la journée il a distribué du feu avec le briquet en forme d'extincteur que je lui avais ramené (parce qu'il est pompier). Il me récite tous les mots en français et les personnalités françaises qu'il connaît: Jacques Chirac, Pierre Richard, Zidane. Très content de recevoir un Français il veut en savoir plus sur la langue et la culture.
Toute la matinée du lendemain, les voisines se succèdent et viennent boire le thé pour prendre des nouvelles de la revenante mais aussi aussi pour voir à quoi ressemble le Français. Sur la demande de Makhabate une des voisines joue spontanément du Komouz ( sorte de mandoline traditionnelle) et les autres se mettent à chanter. Toutes les maison ont un komouz pour les occasions festives.
retour sommaireUne fête traditionnelle en montagne
Demain nous partirons enfin dans les montagnes qui jusqu'à présent restaient toujours en toile de fond comme un décor de théâtre. Nous irons chez Cholponkul (alias Chopo), un des oncles de Makhabate qui est berger et qui a invité toute la famille pour une grande fête. Le jailoo (pâturage) où il fait paître ses animaux se situe dans la vallée d'Ak Su (eau claire) au nord du lac Issik kol. Pour y aller nous nous entassons à 7 dans un taxi qui veut bien nous emmener à l'entrée de la vallée. Heureusement la voiture est grande (une Audi 80) mais le chauffeur roule trop vite et les amortisseurs tapent régulièrement. Comme les autres, il double en plein virage, roule à gauche pour éviter les nids de poule ou plutôt les nids de tricératops... Nous avons de la chance parce qu'un 4*4 monte au jailoo. Nous rentrons cette fois à 8 avec les deux gros sacs. Comme toujours il faut négocier un prix, mais la mère de Makhabate sait y faire : elle lui dit qu'elle le connaît, qu'il est de son village natal et nous voilà parti pour 20 Som chacun alors qu'il en demandait 50 au départ. En route nous écoutons un sketch kirghize, je ne comprends rien mais ça a l'air assez drôle. Tout le long de la piste, des yourtes sont installées en bordure de rivière. Enfin arrivés, nous posons nos sacs contre la yourte et embrassons tout le monde. Je met en pratique ma leçon de civisme et dis kandaï sinar aux femmes et Salom Alecum au hommes. Le salut commence par une poignée de main puis on s'embrasse avec la main libre tout en faisant une bise sur la joue. Je trouve ce salut très agréable et surtout moins froid que chez nous. On nous invite rapidement à rejoindre les aïeux dans la petite mais très jolie yourte : Bosu.
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Dans la yourte nous attendent, la grand mère de Makhabate qui est aveugle et le grand père d'une famille éloignée. Celui-ci porte le kalpac et les bottes noires traditionnelles en cuir très souple par dessus lesquelles on enfile un sabot plus solide (en caoutchouc) pour l'extérieur. Chaque rencontre commence toujours par une discussion autour du thé toujours accompagné par le pain, la confiture, le Kaïmac et autres sucreries. Je suis envahi par l'atmosphère à la fois solennelle et conviviale. Lorsque je regarde le ciel à travers le tunduk (l'ouverture au sommet de la yourte qui est devenue l'effigie du drapeau national), la joie m'envahit. Je ressent une sensation de plénitude due à ce moment privilégié de partager le quotidien d'un peuple si accueillant.
La yourte de Chopo est petite, mais il y rentre beaucoup de monde et l'espace circulaire est très agréable. Déjà les oncles de Makhabate me questionnent : d'où je viens, ce que je fais dans la vie etc.. Pendant que Makhabate raconte son expérience en France je contemple la structures de la yourte : la base est constituée par un croisillon disposé en cercle sur lequel viennent reposer de longues perches courbées qui maintiennent le Tunduk (ouverture centrale). Le tout est recouvert par un épais feutre de laine. Contrairement à la yourte Mongole qui est maintenue par un poteau central, la yourte Kirghize est autoportante. Son intérieur est généralement plus dépouillé. Seules les yourtes destinées à l'accueil des touristes sont abondamment décorées de tapis et pompons en laines. Généralement un canisse décoré est disposé entre le croisillon et le feutre à la base de la yourte pour une meilleure isolation. Par terre, un premier tapis de feutre multicolore avec des dessins aux contours flous sert d'isolant. On rajoute par dessus un deuxième tapis coloré au dessins stylisés, le shyrdak.
Un bouillon de gras de mouton un peu écœurant est servi. Makhabate me dit que nous allons remanger dans peu de temps alors je tente de limiter ma consommation de pain malgré la forte pression des hôtes pour que j'honore le repas. Les hommes m'invitent à trinquer à la vodka. Mais cela ne se fait pas n'importe comment. Une fois que tout le monde est servi quelqu'un est désigné pour porter un toast. On remercie l'hôte, on souhaite de bonnes choses à chacun et cela peut durer un quart d'heure. Ensuite et seulement après ce "rituel", on peut boire cul sec et manger une cuillère d'une salade ou renifler du pain "pour amortir le choc".
Avant le deuxième repas, Makhabate m'emmène voir la préparation du mouton qui avait été tué avant notre arrivé. Pendant que les morceaux mijotent dans la grande marmite en fonte, un cousin fait griller la tête qu'il a empalé dans un bâton, pour pouvoir enlever les poils plus facilement. Je redoute plus que tout le moment où l'on va me tendre l'œil en signe de bienvenue comme le veut la tradition.
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Nous allons jouer dans l'immensité du jailoo avec la ribambelle de cousins. Myrzagul la deuxième sœur est là. Elle a appris le français toute seule et se débrouille bien. Nous passons en revue les jeux kirghiz puis, les jeux français (l'épervier, 1,2,3, soleil…). Les petits gars sont très turbulents et se battent sans arrêt.
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De retour vers la yourte, je suis intercepté pour boire...encore. Makhabate "m'engueule", mais je veux participer activement à la fête. Par contre après avoir bu il faut manger et là je ne rigole plus parce qu'on me tends un morceau de foie en sandwich dans un énorme morceau de gras gélatineux. Je décale délicatement les deux morceaux de gras et croque dans le foie. Je me débarrasse discrètement du reste en le lançant dans la prairie.
Nous sommes appelés pour manger. Il s'agit du plat traditionnel : le bechbarmak. On procède d'abord par la distribution des pièces de viande en fonction de la position honorifique de chacun. La grand mère Eneke est la plus "gâtée", ensuite vient l'aîné, Amantour. On me donne une cote : un morceau approprié pour un jeune homme. Le reste est découpé en petits morceaux dans un plat et on ajoute des pâtes fraîches et du bouillon bien gras. Le tout est assez liquide mais on mange quand même avec les doigts. Un chiffon commun circule pour s'essuyer les mains. Les hommes sortent leurs couteaux pour racler les os ou découper les morceaux coriaces. L'oncle à coté de moi prend la tête de mouton et commence à distribuer des morceaux. Contrairement à toute attente, il ne m'en propose pas. Je ne dis rien pour ne pas attirer son attention et ouff...je passe finalement outre…
Le soir, lorsque que tout le monde s'en est allé, je prends le temps de contempler le paysage magnifique qui nous entoure. Tout est très vert, sauf la barrière montagneuse au nord. Celle - ci culmine à près de 5000 mètres et constitue la frontière avec le Kazakhstan. Notre hôte Chopo part chercher son troupeau…à cheval. D'ici les moutons et les chevaux ne sont que des taches noires dans la prairie. Comme la plupart des bergers il vit ici tout l'été avec sa femme Aïnoura et ses deux fils Dastan et Toïchoubek. Quand vient l'hiver ils redescendent dans le village familial au bord du lac Issik kol. Chopo est très fier d'avoir l'électricité au jailoo. On est loin du mode de vie de leurs ancêtres nomades. En réalité seuls quelques bergers élevant des yaks restent en montagne toute l'année en déplaçant leur campement au fil des saisons.
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La vie au Jaïloo
Nous resterons quelques jours ici découvrir le rythme de vie des bergers. Nous aidons le plus possible aux taches quotidiennes : rappeler les juments pour la traite cinq fois par jour, battre le koumis (lait de jument fermenté au goût plus ou moins fumé), traire les vaches, écrémer le lait, rentrer et compter les moutons… Les premiers gestes sont vites appris mais nous sommes désœuvrés en voyant avec quelle rapidité Aïnoura trait les vaches. Au jailoo les légumes frais sont rares. On mange ce qu'il y a où ce qui a été ramené du village. Aïnoura et les filles préparent des Mantis au gras de mouton (seuls restes de la fête). Les mantis sont de gros raviolis cuits à la vapeur. La patte doit être très fine et un tour de main s'impose pour l'étaler sur toute la largeur de la table. Je contemple le travail avec admiration mais je sens que ma présence trouble Aïnoura. Les femmes comme les hommes sont très pudiques et naïfs et il y a beaucoup de non - dits. Aïnoura signifie rayon de lune : je trouve que cela lui va bien et je le lui dis avec aisance ce qui la met mal à l'aise.
Le lendemain Makhabate et moi essayons de préparer un repas français. Après une inspection des matières premières disponibles il ne me vient qu'une idée : une tourte au pommes de terre (tourte berrichonne). Nous avons tout : la pâte, les patates, les oignons, la crème fraîche et un four électrique. Malheureusement aujourd'hui, l'électricité ne marche pas. Nous devons utiliser le poêle à bois et tout faire cuire dans une marmite en fonte comme les vrais bergers. Au final notre tourte ressemblera à un chausson farci aux légumes, mangeable mais pas vraiment typiquement français. A chaque repas Chopo remarque que comme Amandine Roche (jeune écrivain d'aventure que Makhabate avait déjà emmené ici) je répète souvent "qu'est-ce qu'il/elle dit ". Je ne sais comment il a aussi retenu pigeon, mais il répète sans arrêt "pigeon questcequelledit " ce qui fait rire toute la famille.
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Devenir bûcheron et cavalier chevronné en quelques minutes
Ce jour là, Chopo annonce au repas qu'il a besoin de moi pour aller chercher du bois dans la forêt: Une fois les montures préparées par ses soins, nous partons. Pour moi c'est l'aventure parce que pour l'instant je n'ai fait qu'un quart d'heure de cheval et que la dernière fois remonte à 5 ou 6 ans. J'essaye d'avoir une allure fière pour cacher mon appréhension. La forêt n'est qu'à quelques centaines de mètres au dessus. Dès que nous y entrons, les choses se compliquent : le sol est détrempé et glissant et il nous faut sans arrêt éviter les branches basses. Nous rejoignons une piste et faisons plusieurs manœuvres. Je comprends alors que Chopo cherche un arbre mort. Il a déjà repéré plusieurs petits arbres abattus mais me montre qu'il en cherche un très gros. Au bout d'un quart d'heure à tourner dans le bois il en repère un. Je lui montre par signe qu'il sera difficile de le faire tomber sans se mettre en danger parce qu'il est incliné dans le sens inverse de la pente. Il finit par acquiescer et nous repartons plus haut.
Nous arrivons finalement à la limite supérieure de la forêt, pratiquement au sommet de la petite montagne (d'environ 2500m). J'aperçois en haut un berger et son troupeau et demande à Chopo si on peut voir le lac Issik kol du sommet. Il me montre par signe qu'il y a d'autres sommets qui gênent la vision. J'aimerais monter quand même, mais il a repéré un arbre abattu par un éclair à quelques mètres et déjà, nous nous mettons au travail. L'arbre est assez gros et il faut couper la partie déchirée pour pouvoir le transporter. Chopo élague à la hache les branches et nous scions l'autre extrémité. Pour me bloquer dans la pente, je m'assoie jambes écarté et fait passer la scie au milieu. Chopo est pris d'un fou rire communicatif ce qui m'oblige à changer de position. Nous mettons ensuite le tronc dans le sens de la pente. Un bosquet d'arbre gênant notre progression, Chopo me donne les rennes de son cheval et me dit de le rejoindre un peu plus bas. Pendant que lui tire le tronc en passant sous les arbres, je me débat avec les deux chevaux et la scie dans la pente humide et glissante. Je manque de tomber tous les mètres et les chevaux ne veulent pas avancer.
Une fois arrivé, Chopo attelle son cheval. Ce que je n'avais pas compris c'est que le cheval n'allait pas servir à retenir le tronc dans la forte pente mais à le tirer. Sans hésitation il se lance dans la pente et je tente de la suivre. Mais pour moi, la descente est plus difficile que la montée. Je suis plus hésitant car j'ai un peu peur que le cheval glisse et Chopo me dépasse rapidement. De retour tout le monde vient à notre rencontre. Chopo dis que je suis un "profesional". Au repas du soir, il raconte à tout le monde son fou rire. Il m'avait imaginé en train de couper un arbre à la verticale la scie entre les jambes. Malgré cet épisode me rendant assez ridicule, je garde une grande fierté de ma prestation à cheval. Je n'aurais jamais imaginé qu'on puisse passer dans de tels endroits à dos de cheval.
Pour ceux qui redoutent le cheval, ne pas en faire au Kirghizistan serait un sacrilège. En effet, les chevaux sont petits et très dociles. Il est donc possible pour un débutant de se lancer sans craintes et même d'y prendre plaisir...
retour sommaireRéception fanfaronnante
Le lendemain, nous partons chez le plus vieux des oncles , Amantour, qui nous avait invité le jour de la fête. Je suis malade avec de la fièvre et ne comprends pas ce que nous attendons pour partir. Il n'y a tout simplement pas de voiture pour redescendre. Il faut quatre heures de marche pour arriver au village mais je ne suis pas apte à marcher. Un couple de russes venus acheter du lait caillé pour le revendre en ville emmènent Rarat et Myrzagul après d'âpres négociations. En attendant je vais m'allonger dans la yourte. Toïchoubeck, le petit bougre qui m'avait tant exaspéré les jours précédents, vient me faire un bisous et me masser le dos. Je suis touché pas son geste de tendresse simple, mais cinq minutes plus tard il ne peut s'empêcher de me tirailler à nouveau. Au moins trois heures après l'annonce du départ, une moto pétaradante transformée en tricycle et transportant quatre hommes dans la montée, s'arrête chez le voisin. Chopo arrange notre retour et nous voilà partis en roue libre à fond dans la pente. Finalement arrivés après une petite avarie technique sur le tricycle, nous rencontrons le plus jeune des frères de la famille de Makhabate qui n'étaient pas venus à la fête. Comme le veut la tradition, sa femme et lui, habitent dans la maison familiale pour s'occuper de la Grand-mère. Lorsque nous entrons dans la salle à manger une table débordant de beignets ou boorsok, de chak chak (pâte frite au miel), de griottes, de confitures différentes… nous attend. Dans la pièce, le comble du raffinement kirghize : un bahut énorme en mélaminé couleur cerisier. L'atmosphère est très solennelle et on évite de trop parler. Amantour me pose quelques questions et retourne à ses occupations. Nous discutons avec sa fille Arouké qui parle anglais. Elle a mon âge et a déjà un enfant de deux ans. C'est une fille de la ville, elle a fait des études à Bichkek, s'est mariée à 20 ans et a eu un enfant dans l'année comme c'est le cas la plupart du temps.
L'enlèvement
D'après la tradition, un homme pour se marier peut enlever la fille de son choix. Pour cela il doit fixer une date avec les amis ou les tantes de la jeune fille. La fille est enlevée de force et amenée dans la famille de son futur mari. La mère du jeune homme lui met un foulard blanc sur la tête ce qui marque le lien familial. La fille devra pleurer derrière un rideau tout le long de la fête et les invités viendront un à un la consoler. Quelqu'un ( Achuu basar = littéralement calmeur de rage) est envoyé avec les morceaux de choix du repas chez les parents de la fille pour annoncer la nouvelle. Le jeune homme devra leur payer une dot et la famille de la mariée devra aussi fournir un "trousseau" de couvertures et de meubles.
Dès 16, 17 ans on taquine les filles en leur disant qu'elles vont se faire enlever. Mais cette tradition, acceptée bien que très frustrante pour les femmes kirghizes, tend à disparaître notamment du fait de l'éducation des filles au même titre que les garçons.
lien vers les photos de mariage traditionnel d'un couple kirghiz
retour sommaireIssik koul : La petite mer kirghize...
Plus tard dans l'après midi, nous partons nous baigner au lac Issik kol. Il n'est qu'à quelques centaines de mètres du village mais la première plage est à 5 km et nous devons faire du stop pour y aller. Contrairement à toute attente, la plage est assez fréquentée, non pas par des Russes mais par des familles kirghizes. A l'époque soviétique, aller se reposer au bord du lac était ouvert à chaque camarade en échange du travail fourni.
Le lac est situé à 1600 m d'altitude ce qui rend le fond de l'air assez frais. Mais à cette altitude la radiation est assez forte et la peau chauffe très vite. Mieux vaut ne pas avoir la peau très blanche. Les kirghiz eux bronzent très rapidement et ne se protègent pas. D'ailleurs les parents incitent les enfants à s'exposer pour les renforcer. Le coté sauvage, la végétation (des argousiers essentiellement) et la fraîcheur de l'eau (environ 18°) font qu'on se croirait vraiment au bord de l'océan. Mais, par temps clair cette illusion s'efface face aux montagnes enneigées et à leurs piémonts incisés.
Issik Kol, le lac Kirghiz si paisible
De jolies filles rient sur ses berges
Et les siècles enfouis dans ses profondeurs,
Brillent comme des trésors échappés des mains des hommes
Alykoul Osmonov
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